27.

« Docteur, vous êtes sûr que c’est bien la voix de votre sœur que l’on entend sur le répondeur ?

– Sûr et certain ! »

D’un geste machinal, Gregg se massa le front avec le pouce et l’index. Moi qui n’ai jamais mal à la tête, se dit-il, ce n’est pas le moment de commencer. Trois heures après l’appel téléphonique de son père, il s’était présenté au bureau de la brigade du procureur. Le message que Leesey avait laissé sur le répondeur de David Andrews à Greenwich, Connecticut, avait été dupliqué et amplifié. Au labo, l’inspecteur Barrott l’avait déjà écouté à plusieurs reprises en compagnie de Larry Ahearn.

« Je suis de l’avis de Gregg, avait dit Ahearn. Je connais Leesey depuis qu’elle est toute petite et je suis convaincu que c’est sa voix. Elle paraît nerveuse, inquiète. Naturellement, il est possible qu’elle soit tombée dans une sorte d’abattement. À moins… » Il regarda Gregg. « À moins qu’elle n’ait été forcée de laisser ce message.

– Tu veux dire par quelqu’un qui l’aurait enlevée ?

– Oui, Gregg, c’est bien ce que je veux dire.

– Tu as confirmé que l’appel a été passé depuis un téléphone portable, n’est-ce pas ? » demanda Gregg, s’efforçant de conserver un ton calme.

« Oui. Il a été relayé par la tour située sur Madison, à la hauteur de la 50e Rue. Ce qui signifierait qu’elle est détenue quelque part dans les environs. En revanche, si elle a choisi de disparaître, je ne vois pas comment elle pourrait sortir ne serait-ce que pour faire des courses sans courir le risque d’être reconnue. Sa photo a été diffusée partout, dans les journaux, à la télévision, sur Internet.

– Pas si elle porte un déguisement, un genre de burka, fit remarquer Barrott. Mais elle ne passerait pas inaperçue à Manhattan. » Il commença à rembobiner la bande de l’appel téléphonique de Leesey. « Nos techniciens travaillent sur les bruits à l’arrière-plan. Essayons de nous concentrer là-dessus. »

Larry Ahearn surprit la moue désabusée de Gregg. « Nous n’avons pas besoin d’en écouter davantage, Roy.

– Alors, que fait-on maintenant ? demanda Gregg. Si vous concluez que Leesey est partie de son plein gré, allez-vous abandonner les recherches ?

– Sûrement pas, dit Ahearn d’un ton déterminé. Pas un instant. Connaissant Leesey comme je la connais, même si elle est partie volontairement, cette histoire ne tient pas debout. Nous resterons en alerte vingt-quatre heures sur vingt-quatre jusqu’à ce que nous la trouvions.

– Dieu soit loué ! » Gregg se souvint qu’il avait autre chose à leur demander. « Concernant les médias. Faut-il leur révéler qu’elle nous a contactés ?

– Personne ne doit être au courant. » Larry secoua la tête. « C’est la première chose que j’ai dite à ton père quand nous lui avons parlé.

– C’est également ce que tu m’as dit, mais j’ai cru que tu voulais d’abord t’assurer qu’il ne s’agissait pas de l’appel d’une personne déséquilibrée ou de quelqu’un imitant la voix de Leesey.

– Gregg, absolument rien ne doit filtrer à l’extérieur, insista Larry Ahearn. C’est terrible, certes, mais il est réconfortant de savoir qu’elle était en vie voilà encore quelques heures.

– Tu as raison. Mais si elle est en vie, où se trouve-t-elle ? Que va-t-il lui arriver ? On n’a jamais retrouvé les autres jeunes filles qui ont disparu en sortant d’une de ces boîtes de nuit de SoHo.

– Mais aucune d’entre elles n’a jamais appelé sa famille, lui rappela Ahearn.

– Docteur Andrews, il y a autre chose…, commença Barrott.

– Appelez-moi Gregg, je vous en prie. » Un soupçon de sourire éclaira son visage. « Quand j’ai obtenu mon diplôme et que quelqu’un m’appelait au téléphone et demandait à parler au Dr Andrews, il a fallu des mois à Leesey pour ne pas passer automatiquement la communication à mon père. »

Barrott sourit à son tour. « Même chose chez moi. Si mon fils a de très bonnes notes en classe par exemple, sa sœur pense que c’est une erreur. Reprenons, Gregg, continua-t-il. La dernière fois que vous avez vu votre sœur c’était il y a une semaine, le jour de la fête des Mères. S’est-il passé quelque chose d’inhabituel alors ?

– C’est ce qui m’étonne. Ma mère est morte depuis deux ans seulement, ce n’est donc pas un jour de réjouissance pour nous. Nous sommes allés à l’église tous les trois, nous nous sommes recueillis sur sa tombe, et ensuite nous avons dîné ensemble au club de mon père. Leesey avait prévu de rentrer à New York avec moi mais, à la dernière minute, elle a préféré rester, passer la nuit à la maison avec papa et prendre le train le lendemain matin.

– Avant le décès de ta mère, la fête des Mères avait-elle une importance symbolique particulière autre que la valeur sentimentale qu’on lui attache ?

– Non, pas du tout. Nous la fêtions ensemble, mais sans plus. Lorsque mes grands-parents étaient encore en vie, ils se joignaient à nous. Rien d’extraordinaire. » Gregg surprit le regard qu’échangeaient les deux inspecteurs puis le petit signe de tête que Larry Ahearn adressait à Roy Barrott. « Vous me cachez quelque chose, dit-il. Quoi ?

– Gregg, connais-tu Carolyn MacKenzie ? » demanda Ahearn.

Sentant le sang battre à ses tempes, Gregg fouilla dans sa mémoire, puis secoua la tête. « Je ne crois pas. Qui est-ce ?

– Une avocate, répondit Ahearn. Elle a vingt-six ans et habite Thompson Street, dans l’immeuble voisin de celui de ta sœur.

– Elle connaît Leesey ? s’exclama Gregg. A-t-elle une idée de l’endroit où elle pourrait se trouver ?

– Non. Elle ne la connaît pas, mais peut-être te souviens-tu d’une affaire qui a eu lieu il y a dix ans. Un étudiant a quitté son appartement un beau jour et a disparu sans laisser de traces. Il s’appelait Charles MacKenzie Junior. Tout le monde l’appelait Mack.

– Je me souviens de cette histoire. On ne l’a jamais retrouvé, n’est-ce pas ?

– Non, dit Ahearn. Mais il appelle sa mère tous les ans, le jour de la fête des Mères. »

Gregg eut un brusque sursaut. « Il a disparu depuis dix ans et il appelle tous les ans. Et tu suggères que Leesey pourrait suivre le même schéma ? C’est insensé.

– Gregg, nous ne suggérons rien, dit Ahearn d’un ton conciliant. Leesey avait onze ans lorsque Mack MacKenzie a disparu, et il est peu probable qu’elle l’ait rencontré. Mais nous avons pensé que ta famille avait peut-être connu la sienne. Après tout, vous fréquentez les mêmes cercles.

– Si on veut. »

Gregg avait l’air perplexe. « Mack MacKenzie a-t-il appelé sa mère dimanche dernier ?

– Oui. » Ahearn préféra ne pas l’informer immédiatement de l’existence du message laissé dans la corbeille. « Nous ignorons ce que fabrique ce type et pourquoi il a choisi de s’évaporer dans la nature. Je suppose que peu de gens savent qu’il téléphone encore à sa famille une fois par an. Nous en avons donc conclu que Leesey a pu le rencontrer, peut-être dans une de ces boîtes de SoHo, et que si elle a décidé de disparaître, comme lui, elle restera en contact avec toi et ton père de la même manière.

– Que sait-on de MacKenzie ? En clair, s’il s’est volatilisé volontairement, avait-il des ennuis ? »

Gregg fixait Larry avec insistance, attendant une réponse de sa part.

« Nous n’avons aucune explication. Tout marchait comme sur des roulettes dans son existence, et un jour il a mis les voiles.

– On pourrait en dire autant de Leesey, dit vivement Gregg. Tu penses donc que si elle a rencontré ce type, nous n’entendrons plus parler d’elle avant la fête des Mères de l’an prochain ? »

Il les regarda tous les deux à tour de rôle. « Attendez un peu. Vous imaginez que ce type, Mack, pourrait être un malade mental et qu’il a un rapport avec la disparition de Leesey ? »

Larry observa d’un air pensif son ancien camarade de faculté. Il n’y a pas que son père qui a brusquement vieilli cette semaine, se dit-il. Gregg a pris dix ans depuis notre partie de golf le mois dernier. « Nous explorons chaque situation, Gregg, expliqua-t-il, chaque cas susceptible de nous mettre sur une piste. La plupart mèneront à une impasse. À présent, suis mon conseil. Rentre chez toi, mange un morceau et couche-toi tôt. Tâche de trouver un peu de réconfort dans le fait que Leesey était en vie ce matin. Tu as une quantité de patients qui comptent sur ton talent pour vivre quelques années de plus. Tu ne dois pas leur faire défaut, et c’est ce qui arrivera si tu ne te reposes pas. »

C’est à peu près le conseil que j’ai donné à mon père, pensa Gregg. Je vais rentrer chez moi, dormir deux heures et manger quelque chose. Mais ce soir je compte faire à pied le trajet entre ce night-club de SoHo et Thompson Street. Leesey était encore en vie ce matin. Si elle est entre les mains d’un fou, elle ne va peut-être pas le rester longtemps.

Il repoussa sa chaise et se leva. « Tu as raison, Larry », dit-il.

Après un bref signe de main, il se préparait à partir quand le téléphone portable d’Ahearn sonna. Il le sortit hâtivement de sa poche et le porta à son oreille. « Alors ? »

Gregg vit son front se plisser sous l’effet de la colère avant de l’entendre laisser échapper un juron. Pour la deuxième fois de la journée, il pensa, désespéré, qu’on avait retrouvé le corps de Leesey.

Ahearn le regarda. « Quelqu’un a appelé le New York Post il y a quelques minutes, disant que Leesey avait fait parvenir un message à sa famille aujourd’hui, ajoutant qu’elle rappellerait le jour de la fête des Mères. Le Post voudrait une confirmation. » « Aucun commentaire », hurla-t-il dans l’appareil, et il raccrocha brutalement.

« C’est Leesey qui a passé cet appel ? demanda Gregg.

– Le journaliste qui l’a pris n’en était pas sûr. Il a dit qu’il a entendu un murmure étouffé. Pas d’identification de l’appelant.

– L’appel ne provenait donc pas de Leesey. Son appareil est muni de l’identification de l’appelant, dit Gregg.

– C’est ce que je voulais dire. Gregg, je vais être brutal. Soit Leesey est en pleine crise de dépression et cherche à se faire remarquer, soit elle est entre les mains d’un fou qui joue un jeu dangereux.

– Qui n’appelle que le jour de la fête des Mères, ajouta calmement Roy Barrott.

– Ou qui a un loft près du Woodshed et un chauffeur de longue date prêt à tout pour lui », dit Ahearn d’un air sombre.

Où es tu maintenant ?
titlepage.xhtml
Ou es tu maintenant relu_split_000.htm
Ou es tu maintenant relu_split_001.htm
Ou es tu maintenant relu_split_002.htm
Ou es tu maintenant relu_split_003.htm
Ou es tu maintenant relu_split_004.htm
Ou es tu maintenant relu_split_005.htm
Ou es tu maintenant relu_split_006.htm
Ou es tu maintenant relu_split_007.htm
Ou es tu maintenant relu_split_008.htm
Ou es tu maintenant relu_split_009.htm
Ou es tu maintenant relu_split_010.htm
Ou es tu maintenant relu_split_011.htm
Ou es tu maintenant relu_split_012.htm
Ou es tu maintenant relu_split_013.htm
Ou es tu maintenant relu_split_014.htm
Ou es tu maintenant relu_split_015.htm
Ou es tu maintenant relu_split_016.htm
Ou es tu maintenant relu_split_017.htm
Ou es tu maintenant relu_split_018.htm
Ou es tu maintenant relu_split_019.htm
Ou es tu maintenant relu_split_020.htm
Ou es tu maintenant relu_split_021.htm
Ou es tu maintenant relu_split_022.htm
Ou es tu maintenant relu_split_023.htm
Ou es tu maintenant relu_split_024.htm
Ou es tu maintenant relu_split_025.htm
Ou es tu maintenant relu_split_026.htm
Ou es tu maintenant relu_split_027.htm
Ou es tu maintenant relu_split_028.htm
Ou es tu maintenant relu_split_029.htm
Ou es tu maintenant relu_split_030.htm
Ou es tu maintenant relu_split_031.htm
Ou es tu maintenant relu_split_032.htm
Ou es tu maintenant relu_split_033.htm
Ou es tu maintenant relu_split_034.htm
Ou es tu maintenant relu_split_035.htm
Ou es tu maintenant relu_split_036.htm
Ou es tu maintenant relu_split_037.htm
Ou es tu maintenant relu_split_038.htm
Ou es tu maintenant relu_split_039.htm
Ou es tu maintenant relu_split_040.htm
Ou es tu maintenant relu_split_041.htm
Ou es tu maintenant relu_split_042.htm
Ou es tu maintenant relu_split_043.htm
Ou es tu maintenant relu_split_044.htm
Ou es tu maintenant relu_split_045.htm
Ou es tu maintenant relu_split_046.htm
Ou es tu maintenant relu_split_047.htm
Ou es tu maintenant relu_split_048.htm
Ou es tu maintenant relu_split_049.htm
Ou es tu maintenant relu_split_050.htm
Ou es tu maintenant relu_split_051.htm
Ou es tu maintenant relu_split_052.htm
Ou es tu maintenant relu_split_053.htm
Ou es tu maintenant relu_split_054.htm
Ou es tu maintenant relu_split_055.htm
Ou es tu maintenant relu_split_056.htm
Ou es tu maintenant relu_split_057.htm
Ou es tu maintenant relu_split_058.htm
Ou es tu maintenant relu_split_059.htm
Ou es tu maintenant relu_split_060.htm
Ou es tu maintenant relu_split_061.htm
Ou es tu maintenant relu_split_062.htm
Ou es tu maintenant relu_split_063.htm
Ou es tu maintenant relu_split_064.htm
Ou es tu maintenant relu_split_065.htm
Ou es tu maintenant relu_split_066.htm
Ou es tu maintenant relu_split_067.htm
Ou es tu maintenant relu_split_068.htm
Ou es tu maintenant relu_split_069.htm
Ou es tu maintenant relu_split_070.htm
Ou es tu maintenant relu_split_071.htm
Ou es tu maintenant relu_split_072.htm
Ou es tu maintenant relu_split_073.htm
Ou es tu maintenant relu_split_074.htm
Ou es tu maintenant relu_split_075.htm
Ou es tu maintenant relu_split_076.htm
Ou es tu maintenant relu_split_077.htm